"Pour partager ses vicissitudes avec autrui, il convient néanmoins de laisser ouverte une porte d’entrée". Voilà en quelques mots ce qui me vient à l’esprit au moment d’entamer la revue du second album de MR BUNGLE, "Disco Volante", après des débuts fracassants (et fracassés du ciboulot) en 1991 avec l’époNIME (je suis certain que celle-là a déjà été faite sur l’une des seize mille chroniques du site mais peu importe). Grand fan du général devant l’éternel, malgré ses digressions plus barrées les unes que les autres, j’avoue néanmoins, avec le recul, éprouver beaucoup de difficultés à réellement apprécier cet effort de 1995 à sa juste valeur.

Déjà précisons à toutes fins utiles que le premier groupe de Mike Patton, celui au sein duquel il a fait ses armes avant de rejoindre FAITH NO MORE, n’est pas, loin de là, un projet solo entouré de mercenaires aguerris. C’est le fruit d’un travail d’équipe, avec notamment le duo magique Trey Spruance (guitare, claviers) / Trevor Dunn (génial bassiste s’il en est), présents depuis les premiers jours et la démo "The Raging Wrath Of The Easter Bunny", dont nous reparlerons ultérieurement dans ces sombres pages (#teasing). Autant dire, une belle bande de cinglés échappés d’un asile, réunis ensemble pour commettre les pires méfaits.

Si l’aspect foutraque fait partie intégrale de l’univers déjanté des Californiens, celui-ci restait auparavant relativement maîtrisé sur l’essai séminal, quand bien même le disque pouvait laisser transparaître des influences allant du Death Metal à la Salsa, en passant par la Funk, et autres joyeusetés musicales. Il n’en était pas moins constitué de chansons que j’oserai qualifier de cohérentes, ce qui n’est malheureusement pas le cas sur "Disco Volante", qui s’aventure encore plus loin dans le grand brassage des genres, au risque de perdre l’auditeur, dès l’introductif "Everyone I Went To High School With Is Dead", bruitiste, bordélique, et un peu chiant il faut bien l’admettre.

C’est bien ce sentiment qui prédomine une fois l’écoute achevée, malgré quelques morceaux absolument géniaux comme "Carry Stress In The Jaw", tout aussi barré, balayant du Jazz au Thrash, Patton faisant du Patton, tantôt Crooner, tantôt Hardcore. Contre-exemple ultime, la chanson montre qu’il existait bien une voie pour faire cohabiter expérimentation et kiff, lâcher-prise et contrôle, onanisme et partage. Sur près de neuf minutes, MR BUNGLE y fait preuve de tout son savoir-faire dans l’absurdité absolue. Non-sens ultime, l’ensemble groove gentiment pour mieux déchaîner les enfers la seconde suivante, ou balancer des chœurs hantés. Cirque maléfique terminal, la fameuse porte évoquée en préambule reste ici entrouverte et nous permet de pénétrer dans les esprits malades de leurs géniteurs.

Malheureusement, cette sensation se fait trop rare à mon sens sur "Disco Volante", qui plus est trop copieux (douze titres pour près de soixante-dix minutes, ça fait beaucoup pour de l’avant-garde). Bien sûr, il y a douze mille idées par piste, de l’électroïde "Desert Search For Techno Allah" (sic) où les percussions orientales cohabitent avec des sons synthétiques un brin datés, au décorum Doomesque de "Violenza Domestica" et ses ambiances de série Z d’horreur rétro à la George A. Romero. Parfois, cela fonctionne plutôt correctement ("After School Special"), mais en général cela tombe plutôt à plat ("The Bends", interminable).

Expérimenter et faire preuve d’audace, c’est bien. Mais concevoir de la bonne musique c’est mieux, sinon "Lulu" de qui-vous-savez serait passé depuis longtemps au panthéon des chefs d’œuvre absolus. La comparaison est osée et un chouïa provocatrice, je le reconnais bien volontiers, car "Disco Volante" n’est pas un étron absolu, loin de là. Mais l’avant-gardisme de la chose prend finalement le pas sur la consistance, ou même tout simplement le plaisir que l’on peut ressentir à l’écoute de cet OVNI (non, mais sérieux "Ma Meeshka Mow Skwoz"…).

Disque le plus osé de MR BUNGLE, et de loin, il est également à mon sens le moins abouti. Il évoque les tentatives "solo" les plus extrêmes de Patton, celles qui frisent l’inaudible. D’aucuns trouveront le résultat brillantissime, pour ma part je le préfère lorsque la bride est tenue un peu plus fermement, canalisant les penchants les plus aberrants du personnage pour mieux les exprimer à dose homéopathique dans un ensemble bien branlé. Mais comme ici Spruance et Dunn sont visiblement sur la même longueur d’onde que leur comparse, le skeud fait l’effet d’un grand n’importe-quoi, parfaitement exécuté j’en conviens, mais un grand n’importe-quoi malgré tout.

Comment raisonnablement noter une telle galette ? Je ne trancherai pas la question avec cette moyenne. S’il est peu probable que je me repasse en boucle "Disco Volante" jusqu’à la fin de mes jours sans finir dans un hospice d’aliénés, il m’est également impossible de détruire un album aussi unique en son genre, dont le principal défaut est d’aller plus loin que ce que l’étriqué scribouillard que je suis est en mesure de supporter.

Note réelle : 2,5/5.