Nous autres, générations dorées qui n'avons (pour l'instant) pas connu la guerre, la famine, les privations et persécutions de toutes sortes, avons le luxe de rester de grands enfants toute notre vie durant. Des Tanguy pour certains, des vieux au regard pétillant pour d'autres, des "no-life" refusant de s'extirper du doux réconfort d'une existence virtuelle pour les moins chanceux. Pas de traumatisme ayant provoqué une perte complète de l'innocence et un passage forcé vers l'âge adulte, un luxe dont nous n'apprécions que trop rarement la valeur.

TRANCEMISSION, et bien que le groupe roule sa bosse depuis la fin des années 70, fait partie de cette génération des sans-soucis. Bien que le groupe ne soit jamais parvenu à s'extirper du cruel ventre-mou de la scène hard rock allemande, le combo mené par le chanteur Lothar Antoni a mené une belle carrière, parsemée de sorties sympathiques et d'autres bien plus dispensables, et s'est construit une discographie fournie (en partie sous le nom de TRANCE) qui nous emmène aujourd'hui à ce "Paranoia", quatrième réalisation du groupe depuis son retour au début des années 2000. Une collection de titres hard rock puérils qui nous fait finalement nous demander si l'âge venant, l'esprit humain ne connaîtrait pas une sorte de régression, comme un compte à rebours vers le dernier soupir.

Là où "Naked Flames", précédente réalisation du groupe, souffrait d'un manque de qualités musicales, ce nouvel opus se fait varié et convaincant, proposant un hard rock bariolé, certes sans grande folie, mais joliment interprété, avec conviction et talent. Si la voix de Lothar Antoni ressemble plus souvent à celle d'un chat qu'on égorge qu'à celle d'un chanteur maître de son organe (sorte de mélange contre-nature en Gary Barden et Udo Dirkschneider), les qualités intrinsèques des morceaux parviennent à faire passer la pilule. Sous réserve que l'on accepte de "désapprendre" son Hard Rock pour se mettre au niveau d'une musique très innocente, parfois ridiculement naïve.

La batterie est scolaire, les guitares loin d'être virtuoses, et l'ambiance globale donne l'impression que l'album a été composé à coups de burin. Des gros sabots, des poncifs et des clichés, vous allez en entendre à la pelle, à l'image de ce "Jesus Christ" et "Hey There Gipsies" aux mélodies énergiques et inspirées, mais dont les paroles vous feront rire aux éclats. Le même constat vaut pour "Make My Day" et son riff de cour de récré à l'intérêt proche du néant. Si TRANCEMISSION n'a jamais brillé par sa capacité à innover ou repousser les limites du Hard Rock, voici qui, après plus de 30 années de carrière, est source de déception.

Pour autant, le groupe parvient à tirer quelques cartouches qui frappent au but. "Lone wolf", avec son intro folk et celtisante, n'est pas très éloigné de l'univers de STYX. Si les titres les plus directs et foncièrement Hard Rock sont peu marquants (sauvons tout de même le rapide "Queen Of The Night" qui sample un célèbre air de La Flûte Enchantée de Mozart et "Rockin' Is Ma Business" au riff entraînant), les morceaux qui s'éloignent d'une rythmique binaire et bas du front témoignent d'un groupe capable de bien faire : "The Soil Of A Man's Heart", sorte de power-ballad "opératique" et alambiquée, se fait ainsi une belle surprise, au contraire de la seconde power-ballad "Power Of The Heart", engoncée dans des arrangements pompeux et des choeurs d'enfants presque gênants.

Plus varié et inspiré que son prédécesseur direct, "Paranoia" est sans doute ce que TRANCEMISSION pouvait nous proposer de mieux à ce moment de sa carrière, alors que le groupe tente encore de se battre pour survivre là où beaucoup ont depuis longtemps jeté l'éponge, lassé d'attendre une reconnaissance qui n'arrivera jamais. Le hard rock du groupe est certes enfantin et sans réel intérêt, mais ceci constitue également un force, le groupe parvenant à surprendre agréablement lorsqu'il tente de sortir des sentiers battus. Allez, espérons un prochain tour de manège avec un album un poil plus ambitieux ? Pourquoi pas après tout, tous les espoirs sont permis lorsque l'on est un enfant...