Au lycée, y avait un type qui s’appelait DAVID. C’était le baron du clan des hardos. Parents divorcés, deux grands frères hardos, famille riche, gros redoublant. Son argent de poche devait atteindre l’équivalent d’un petit salaire qui passait intégralement dans le Metal. Des vieux groupes, en passant par les nouveautés (sans compter les T-shirts et les concerts), Il achetait tout. Sa discothèque était incroyable. Il organisait à lui tout seul des minis brocantes durant lesquelles il revendait des dizaines d’albums pour 10, 20, 30 francs maximum. Son aisance matérielle lui conférait une sorte d’ascendant naturelle, parce qu’il POSSEDAIT. Son avis était respecté, consulté. Le poids des originaux imposait une chape d’autorité. Même si vous connaissiez très bien un album, votre pauvre K7 enregistré n’aura jamais le même poids psychologique que le CD original. C’est un phénomène qui ne doit plus trop exister de nos jours dans les cours de l’école (avec l’arrivée des MP3s qui a mis tout le monde à égalité : cf mon édito lumineux [http://metal.nightfall.fr/index.php?choix=54&edito=27]), ce que je trouve un peu dommage.

Du coup, lorsque DAVID arrivait le matin avec son sac rempli de CDs, c’était un peu l’attraction du jour. Tout le monde en crevait de jalousie. Je me rappelle très bien de cet album de TOXIK. A l’époque, j’étais en pleine fixette MEGADETH. J’écoutais "Rust In Peace" en boucle en me disant que le Thrash était le genre le plus merveilleux qui soit. La pochette de "World Circus" rappelait pas mal MEGADETH (même style, même ton). Je bavais littéralement devant cet album, j’aurais tué ma mère pour l’écouter. Il n’y avait aucune chance que DAVID me prête cette relique, je lui avais déjà emprunté "Altar" et "Blessed" de MORBID ANGEL contre le "No More Color" de CORONER (qui n’était pas à moi). L’échange s’était avéré inéquitable selon lui. Je tentais quand même le coup.

Canard : « Tiens, c’est quoi ce groupe. » (je manipule l’album précautionneusement)
David (méfiant) : « TOXIK. Tu connais pas ? Ca pourrait te plaire. C’est du Speed Thrash technique. »
Canard : « Marrant, on aurait dit une pochette de MEGADETH. Ca fait très "Peace Sells", je trouve. »
David : « C’est le même dessinateur, c’est pour ça. Un peu le même style aussi d’ailleurs. Mais le chanteur a un timbre super aigu, faut aimer... »
Canard : « Tu me le prêterais ? »
1994, un lycée dans le fin fond de l’Essonne. Duel au sommet. Deux hardos se toisent du regard pour un album de Thrash inconnu au bataillon. Qui va baisser les yeux le premier ?
Je craque.
David : « Nan, je te le prête pas. Tu m’as toujours pas rendu mon SADIST. »
Merde, je l’avais oublié celui-là.
David : « Par contre, si tu veux, je te le vends. Disons 50 balles. »

David ne vend jamais un album plus de 40 francs. C’est du vol pur et simple. Aucun terrain d’entente ne sera trouvé ce matin-là. Après quelques semaines de frustration, j’oublie TOXIK.
…

Les années ont passé. Je me suis depuis procuré l’album. J’ai ainsi pu me rendre compte que ça valait pas tant que ça à l’époque de me mettre la rate au court bouillon. "World Circus" n’est juste qu’un bon petit album de Thrash. Intéressant et anecdotique à la fois (ne valant certainement pas une introduction aussi longue, mais que voulez-vous je suis d’humeur nostalgique ces derniers temps).

TOXIK fait du Thrash à l’ancienne, école MEGADETH (premiers albums) avec quelques touches bien techniques. Les structures sont assez alambiquées, les riffs plutôt complexes et les solos fulgurants (on affilie souvent le groupe au Techno Thrash, voire même au Progressif. Mon avis est que "World Circus" joue pile poil sur cette frontière entre Speed bien 80 et Techno Thrash. Les guitares couinent, ça accélère, ça breake et on casse le rythme autant que possible. TOXIK ne fait pas du Thrash « basique ». Le groupe cisèle ses compos, affine chaque seconde et millimètre chacune de ses interventions guitaristiques. Ces parties de guitare sont justement le principal intérêt de TOXIK.

En terme de composition, TOXIK ne casse pas des briques. Leur musique est plutôt difficile d’accès, presque hermétique et relativement peu accrocheuse. L’ensemble fait pas mal penser à un mix de MEGADETH et de CORONER ("Voices"), rappelant parfois le meilleur de MEKONG DELTA ("World Circus"). La faute essentiellement à ses lignes de chant difficiles à encaisser et ce chanteur incroyable. Voix suraigüe, un timbre presque pénible donnant l’impression d’une mauvaise parodie des chanteurs Heavy des années 80. A mon sens, ce Mike SANDERS plombe pas mal la musique de TOXIK (mais c’est affaire de goût) et nous déconcentrerait de la virtuosité des musiciens. A l’instar de Mousse-Teigne et Méga Mort, c’est du particularisme du chant que TOXIK puise une grande part de sa typicité. Le groupe est ainsi reconnaissable entre mille. Un mal pour un bien, ou l’inverse. A vous de voir.

Le principal atout du groupe étant l’extrême raffinement des parties de grattes, les aficionados de "World Circus" sont essentiellement constitués d’esthètes du Thrash pour qui le chant revêt peu d’importance, tant que le riff et les solos vous envoient sur orbite. Dans cet univers où la violence ne passe pas par des aboiements baveux ou des riffs killers pan dans ta gueule, TOXIK tire plutôt bien son épingle du jeu. La furia des soli, l’intensité surhumaine et l’extraordinaire puissance d’interprétation font de ce "World Circus" un album à part.

Magnifiquement rebutant, horriblement scotchant.


Note : 3,5 / 5 (arrondi au supérieur pour la bonne cause)


Morceau préféré du Canard : "47 Seconds Of Sanity / Count Your Blessings