L'aiguille pénétrait ma chair comme une libération tardive. Mon premier tatouage, sept heures de douce souffrance pour un moment important de ma vie. Il fallait marquer sur ma peau ma foi et mon esprit. Nature et Christianisme. Christianisme et Paganisme. Les deux obsessions de ma spiritualité immortalisées sur mon corps. Et il fallait que je souffre légèrement pour me donner le sentiment du pardon après une fin de longue relation infecte qui m'empoisonnait l'âme et le cœur.
Au bout de quatre heures allongé sur la table la douleur est devenue plus forte. Comme si le poids de ma conscience étouffait mon bras. L'aiguille devenait mon bourreau, je serrais les dents, j'endurais en tentant de ne pas rompre le silence. Mon ami et tatoueur me suggéra alors la paix en choisissant de la musique. Et AMENRA s'est imposé de lui-même.

"Mass III" le bouillonnant tout d'abord, puis "Mass V" plus tard pour la spiritualité languissante plus forte. Mais "Mass III" le brutal pour entrer en résonance avec les frappes ciblées sur ma peau. La connexion s'est faite immédiatement sur "The Pain It Is Shapeless". L'entrée furieuse des guitares, l'apocalyptique démesure de cette rythmique incendiaire, ce chant noyé sous le magma sonore ininterrompu; je ne ressentais plus rien, mon souffle s'apaisait, je suis redevenu calme. "Am Kreuz" et la douceur de son chant féminin ont fait resurgir en moi de vieilles émotions lointaines. La voix de ma mère, les rares délicatesses de mon amour perdu. AMENRA faisait de cette séance artistique une expérience spirituelle et sensitive unique.

Je revivais ces derniers mois de calvaire sentimental, je les assumais, je percevais mes fautes, j'entrevoyais la fin, je touchais du bout du cœur une liberté définitive, une cicatrisation parfaite. La musique liturgique d'AMENRA pourtant si violente apaisait chaque douleur corporelle et mentale. Comme une longue et silencieuse agonie de la culpabilité, une transformation radicale, une nouvelle aube. Et quand "Le Fils Des Faux" tournait dans la salle, dans sa répétitivité magnifique, je m'endormais presque. C'était beau, juste, profond et habité.

L'évolution musicale même de "Mass III" correspondait à mon état d'esprit à ce moment-là. Toute cette rage en premier lieu s'éteignait peu à peu et atteignait un climax qui mêlait le calme et l'orage, "Ritual" en conclusion d'un album qui pourra apparaître moins construit et fouillé que "Mass IIII" mais dont la fureur et l'honnêteté habitent chaque plaie.

AMENRA ne m'est jamais apparu si sombre et noir que d'autres le disent. C'est un groupe d'une autre Lumière. Possédé, vivant, intense et terrible. "Mass III" l'imparfait pourtant, car jeune et pas encore affiné, symbolise déjà cette spiritualité d'un groupe unique en son genre, dont les performances lives sont d'ailleurs le pinacle de l’expérience.