"Dark Medieval Times", ou comment se faire un nom dans la scène Black norvégienne.

1993. "De Misteriis Dom Sathanas", "In The Nightside Eclypse" et "Transilvanian Hunger" sont enregistrés. Aucun d'eux ne sortira cette année. Euronymous est assassiné, tempêtes médiatique et judiciaire, fin de l'âge d'Or.
C'est à la fin de cette année charnière qu'est enregistré le premier album de SATYRICON (qui ne sortira que début 1994), premier opus au statut culte qui sert depuis de prétexte aux Vrais pour hurler que SATYRICON c'était mieux avant.

Ayant fréquenté Euronymous et les trublions qui squattaient l'infâme échoppe Helvete, le jeune Sigurd Wongraven (presque 18 ans alors) en avait bien compris l'esprit : être original et explorer sa propre voie.

Au-dessus de guitares tellement fuzzy que ça en devient comique, la bonne idée a été d'incorporer une très forte dose de Folk dépouillée à la guitare classique, parfois accompagnée de flûte, le tout rehaussé de nappes de claviers discrets mais efficaces (effet brume du matin garanti). Totalement originale, la mixture surprenante fonctionne parfaitement. Le Black cru et brumeux délivré ici n'a pas peur de ralentir et de prendre son temps pour créer des atmosphères qui fleurent bon la froide forêt.

L'angoissante intro, montage symphonico-bizarre, est un extrait de "Death On The Blue Lake" par WHEN, l'entité culte du norvégien Lars Pedersen. Après l'effroi de l'intro c'est le froid de "Walk The Path Of Sorrow" qui vous souffle en pleine face, gifle givrée entre mid-tempo soutenu, plan de guitares acoustiques et blasts austères. Le mur de son grésillant nivelle les riffs qu'on devine quand même grâce aux claviers frigorifiques qui suivent discrètement la mélodie. Les tronçonneuses deviennent plus lisibles dès lors que les riffs se font plus lents, appuyés, découpés ou mélodiques, comme sur le second morceau éponyme, accessoirement le meilleur titre de l'album, où le Black cru et le duo guitare classique-flûte se passent le relais.

Le charmant Moyen Âge, époque de guerres sanglantes et d'épidémies cruelles, projette son ombre sur les riffs de Black inspirés de la musique Folk Norvégienne, comme il se retrouve totalement incarné dans son hymne au pays de l'hiver ("Min HyllestTill Vinterland"), pièce baignée par les vents froids, entièrement à la guitare classique, qui vient apporter un rafraîchissant repos à la moitié du disque.

L'on sent déjà poindre aussi certains traits typiques de SATYRICON, comme ce groove né de l'alchimie entre les riffs et le jeu de batterie (cette seconde partie dansante du bien nommé "Skyggedans") ou ces lignes de guitares mélodiques et épiques (qui concluent de façons entêtantes "Into The Mighty Forest" et "The Dark Castle In The Deep Forest").

Un premier album surprenant, original pour l'époque et toujours très frais aujourd'hui, fortement atmosphérique tout en sachant déjà être vindicatif.
Le grand Frost était encore très vert, son jeu étant propre mais simple avec des blasts perfectibles. Les vocaux de Satyr baignent dans une bruine mystérieuse, ses gargouillis de fond de grotte sont convaincant sans toutefois atteindre la force impériale que l'on connaît depuis. En revanche son jeu de guitare est déjà d'un bon niveau, voir d'un très bon niveau sur les parties acoustiques. Il faudra tout de même attendre "Nemesis Divina" pour voir cette virtuosité réellement incarnée dans un Black Métal dévastateur.

C'est finalement le son des guitares qui continuera de diviser les auditeurs, summum du cru qui fera fuir ou jouir.
Le seul ratage unilatéral est la pochette, piteux dessin héroïque-fantaisiste au crayon de papier (technique grossière, perspective honteuse), sans doute la plus moche de tout la grande époque du Black Norvégien.