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EARTHQUAKE METAL  |  STUDIO

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Lexique metal gothique
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2015 Extinct
2017 1755
 

- Style : The 69 Eyes , Nightfall, Nightingale, Tiamat, Septicflesh, Deathronic, Rotting Christ, Galadriel, Joy Division
- Style + Membre : Daemonarch
 

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MOONSPELL - 1755 (2017)
Par WËN le 5 Mai 2018          Consultée 5639 fois

* Premier Novembre de l’an 1755 de Notre-Seigneur. Notre sainte cité de Lisboa, encore baignée par la douceur des derniers rayons automnaux, s’apprêtait à célébrer comme il se doit cette journée de Toussaint. Depuis tout petit et aussi loin que remontent mes souvenirs, l’hommage aux martyrs de nos plus profondes convictions débutait chaque année, en ce qui me concerne, dans cette petite et exiguë rua do Espírito Santo qui, via une étroite traverse menant par ses quelques marches en pente douce serties de figuiers et d’amandiers jusqu’à l’Igreja de Santa Maria Maior, nous révélait - alors que nous débouchions sur l’esplanade - le saint édifice, surplombant les jardins fleuris, tant convoités en été par les familles lisboètes pour l’ombrage qu’ils savent procurer.

Autrefois accompagné de mon défunt père, notre petite procession matinale serpentait ainsi et à son habitude de ruelles en ruelles, ses rangs grossissant au fur et à mesure que d'autres enfants de Dieu nous rejoignaient. Pour la première année, mon aîné de cinq ans marchait fièrement à mes côtés malgré les trop grandes enjambées qu’il devait fournir pour suivre le rythme de notre pieux cortège, tandis que notre toute petite, logée contre l’épaule de sa mère, dodelinait de la tête, perdue qu’elle était encore dans son sommeil. Le soleil était maintenant levé, la ville s’éveillait et la foule, de plus en plus dense, commençait à s’amasser devant les portes de la cathédrale.

C’est là qu’elle survint, irréelle et sourde, cette première secousse… *


C'est à partir de cette catastrophe naturelle, l'apocalyptique tremblement de terre de 1755, que MOONSPELL, en 2017, décide de broder ce nouveau canevas, onzième réel ouvrage de son état (même si initialement prévu pour être l'EP bonus d'un DVD en devenir). D'une magnitude estimée entre 8,5 et 9, le prodigieux instrument d'une colère considérée à l'époque comme divine, non content de détruire dans sa quasi-totalité la capitale portugaise - blanche reine du Tage et ville pieuse parmi toutes - et d'ensevelir sous ses décombres (et par les conséquences qui s'ensuivirent) entre 50 et 70 000 personnes en ce jour saint, toucha tout le sud du royaume ainsi que les frontalières Andalousie et Galice espagnoles. Ressenti des côtes africaines jusqu'aux lointains fjords de Scandinavie, ce cataclysme bouleversa rien de moins que l'équilibre politique et diplomatique mondial, les principaux ports commerciaux du pays ayant été purement rayés de la carte.

Un choix de concept bien sûr fort à propos, car s'il sait intelligemment mettre en avant quelques fiertés propres au combo lusitanien, à commencer par l'abnégation de tout un peuple, solide dans l'adversité (à rapprocher des débuts de la formation) et sa légendaire capacité à rebâtir un royaume sur les braises encore incandescentes de sa capitale (les clichés ont décidément la vie dure) ; il permet surtout au groupe de repartir sur quelque chose de résolument neuf, ou tout du moins de parvenir à afficher une rupture nette avec ses précédents opus en s'affranchissant (temporairement ?) de cette routine dont il avait fait sa marque de fabrique depuis une dizaine d'années maintenant et qui semblait avoir distribuée ses dernières cartes dignes d'intérêt avec "Extinct" (2015). Via cette parenthèse discographique bienvenue (MOONSPELL insistant sur le fait qu'il ne s'agit pas du successeur de "Extinct"), le renouvellement auquel nous assistons là, tant thématique et visuel (terminés, les artworks de Seth Siro) que musical, encore renforcé ici par l'abandon du chant en anglais au profit de la langue d'Álvaro de Campos, couronne les fumantes ruines lisboètes d'un panache tout authentique.

* La foule, maintenant éparse courrait dans toutes les directions, sans réel autre but que de quitter l'esplanade. Il nous fallut plusieurs et interminables secondes pour comprendre l'irréel et, c'est lorsque la première bâtisse sur notre gauche s'effondra en un sordide craquement, que le cœur serré, nous commençâmes vraiment à courir. Mon aimée Amália était à une vingtaine de mètres de nous et je mis quelques instants de plus pour l'apercevoir en train de nous héler, mon fils et moi, nous invitant à la suivre dans la cathédrale, la maison du Seigneur nous procurant l'abri le plus sûr. J'attrapai Sebastião par le bras, bien décidé à les rejoindre quand un soudain reflux de foule nous entraîna un moment et bien malgré nous dans la direction opposée jusqu'à ce que, une seconde fois et plus longtemps, la terre se remette à trembler jetant à terre bon nombre d'entre nous. C'est en me relevant que j'assistai, hagard, à l'horreur tandis qu'une indicible étreinte m'enserrait la poitrine. Je vis littéralement le saint édifice se fendre en deux, et au ralenti se vouter pour finalement s'affaisser sur lui-même, sur ma femme, sur ma fille, alors que - tandis que le clocher était violemment jeté à terre - résonnait bien involontairement le glas par-dessus le vacarme ambiant assourdissant… *

Musicalement, nous l'évoquions, la rupture est donc de mise sur cette œuvre brute de décoffrage et menée tambours battants. Haletante et immersive, celle-ci se détache des dernières entraves 'gothiques' en évitant habilement le piège de 'l'opus de trop' pour nous plonger, toutes guitares dehors, au cœur de l'action ("1755", "In Tremor Dei", "1 De Novembro"). De la version orchestrale du "Em Nome Do Medo" d'introduction (auparavant parue dans sa version originale sur "Alpha Noir", 2012) au "Lanterna Dos Afogados", l'hommage de fin d'album aux victimes du séisme (une reprise des OS PARALAMAS DO SUCESSO), chaque chanson se penche ici sur tel ou tel aspect de la catastrophe. En privilégiant un format court, Ribeiro et ses acolytes nous guident au travers des sombres décombres le temps d'une cinquantaine de minutes qui s'écoulent finalement plutôt vite. Et passé cette introduction qui aurait pu largement gagner en concision, donnant l'impression que l'opus tarde à démarrer, nous voilà bien incapables de dégoter d'autres défauts marquants à propos de cet essai.

Extrêmement homogène et plutôt concis, bardé de chorales latines et de chœurs épiques et grandiloquents (*) se faisant l'écho d'un courroux divin s'abattant sur les côtes lusitaniennes, cet opus marque aussi un retour en force des guitares. Là où, au fil des ans et des styles, tant de groupes s'y sont essayé sans forcément parvenir à leurs fins, la recette employée ici à par moments de quoi laissez pantois devant tant de maîtrise. Jugez la violence de "Abanão" ! Courbez l'échine sous "1 De Novembro" ! Ployez le genou devant "Desastre" ! Ca riffe ! Couplé à des refrains emmenés par le chant extrême si charismatique de Ribeiro (à peine le temps pour du chant clair, cette fois), nous en viendrions à comparer cette offrande à un mixe des éléments les plus osés de "Wolfheart" (l'expérience en plus, cf. "... Of Dream And Drama" et "Alma Mater") et de "Memorial"/"Alpha Noir" (le ventre mou en moins, cf. "Finisterra" pour n'en citer qu'une).

Hormis ces vigoureuses guitares de Ricardo Amorim, l'autre grand architecte de cette reconstruction est incontestablement le clavier de Pedro Paixão qui entre orchestrations - tantôt prégnantes ("1755"), tantôt plus pompeuses ("Todos Os Santos", "Em Nome Do Medo") - et arrangements travaillés, arrive à marquer le disque de sa patte, mais sans jamais trop en faire ! Ceci dit, même en évoquant cette nouvelle donne, certains éléments propres à la musique des Portugais demeurent trop ancrés pour que le groupe en devienne méconnaissable pour autant, à commencer par les soli et mélodies typiques d'une carrière déjà longue d'un quart de siècle ("Evento", "Ruinas", "1755", "Todos Os Santos"). Demeurent aussi quelques vestiges du demi-millénaire passé sous domination musulmane, le groupe nous délivrant quelques chaudes mélodies portées par un sirocco aventureux ("Ruinas") se faisant pourvoyeur d'instruments peu conventionnels (la discrète darbouka de Martin Lopez, SOEN et ex-OPETH, sur "1755").

* Et de trois secousses ! Mais ou t'arrêteras-tu, Seigneur ? D'abord ma fille et mon épouse, paix à leurs âmes chéries, maintenant ma jambe, coincée sous cet amas de bois et de gravats … Je ne me fais guère d'illusion quant à mon sort … Tout a basculé si rapidement… Les efforts d'une vie ainsi réduits à néant en une poignée de minutes. Revenir ! La douleur est insoutenable ! Se concentrer ! Non, tout n'est pas perdu, mon aîné à le droit à sa chance, lui ! « Sebastião, mon fils, cours ! Suis ces femmes, là, qui descendent en direction du port, je te retrouverai là-bas ! Vite, cours » ! C'est en pleurs qu'il s'enfuit, sur ses toutes petites guiboles. Alors qu'il disparut de ma vue en pénétrant plus avant dans un nuage ocre de poussière et d'argile, ce fut au tour des miennes, de larmes, de couler, incapable que je fus de les retenir plus longtemps. Et cette douleur ! Je t'ai tout donné, Seigneur, tout ! Et tu m'as tout pris ! Pourquoi ?! Mais que t'avons-nous donc fait pour mériter ton Ire ? *

Nous parlions précédemment du concept derrière ce nouveau disque. Évidemment la terre a tremblé ce 1er Novembre 1755, mais derrière l'effroyable bilan humain, matériel et politique, ces secousses ont déclenché bien d'autres glissements de terrain qu'à coup sûr nos Portugais ont voulu exploiter et se permettre, grâce à la tribune médiatique (relative, certes) dont ils peuvent jouir, de remettre au goût du jour ici. À commencer par cette interrogation bien légitime : pourquoi, un jour de Toussaint, la capitale d'un empire pieux parmi tous et évangélisant à tout va dans ses lointaines colonies se retrouve rasée par les éléments, inaliénables outils d'un châtiment divin ? En plein siècle des Lumières, cette catastrophe va alimenter divers courants, tant philosophiques (notamment quelques chauds échanges sur la théodicée à savoir la "justice de Dieu", la "philosophique du sublime") que religieux (le Portugal se libérant après-coup de la 'terreur catholique' et de l'Inquisition)… Car que peut-on finalement attendre d'une figure paternelle réconfortante, bonne et juste, décidant d'infliger de telles punitions à ses enfants ? Pourquoi anéantir ainsi tant d’âmes, pour le bien de quoi ? Interrogeons-nous sur l’existence d’un être divin, qui dispenserait la vie et la mort de façon si arbitraire en l'occurrence…

Et à l'heure où nos sociétés se referment à nouveau sur elles-mêmes, s'embourbant dans un obscurantisme rétrograde banalisé par une aveugle bienséance, cautionnant le retour sournois sur le devant de la scène d'idéologies d'un autre âge, fantasmées par des mythes et des fables surannés; Il est finalement de bon ton que des artistes reprennent le flambeau et amènent les gens à s'interroger, à tenter de réfléchir rationnellement, par eux-mêmes, tirer des leçons et apprendre des tragédies qui touchent notre monde (**), alors que, la paresse et la corruption aidant, nos dirigeants semblent de nos jours avoir unanimement décidé de simplement "faire avec".

* L'air, poisseux, empestait ! Deux incendies s'étaient déclarés tout prêt, probablement dus à l'éparpillement de feux de cheminées, pensais-je. Mais que vais-je donc devenir, ainsi immobilisé ?! Périr comme ça, brûlé vif comme le pire des hérétiques, ce n'est pas… juste, Seigneur !! Au moins Sebastião est sauf, lui, il doit être arrivé au port, à l'abri sur la jetée, loin de tout édifice ! Quoi que nous ayons pu te faire, Tu ne l'auras pas lui, il est innocent ! Oh, Tu peux m'intimider, je t'entends gronder et te rapprocher, mais montre-toi plutôt et explique-Toi, explique-moi !

Miracle ? Ironie du sort ? Une puissante rafale chargée d'embruns océaniques balaya soudain la rue, dissipant momentanément la suie, la poussière, l'espoir… En un grondement sourd, de colossales vagues, plus hautes que les bâtisses alentour, s'abattirent avec une prodigieuse vigueur sur le vieux port balayant tous ceux qui s'y trouvaient et l'engloutissant complètement durant de tumultueuses poignées de secondes. Ce n'est qu'au premier reflux que l'amère constatation de cette jetée dévastée eut définitivement raison des dernières onces de ma volonté, déjà rudement mise à l'épreuve.

« Mon fils ?!… Mon fils… Mon tout petit fils ! Non, NOOOOOOON ! Tu n'as pas le droit ! Pas LUI !! TU ME DÉGOUTES ! QUI ES-TU ?! MAIS QUI ES-TU DONC POUR NOUS IMPOSER PAREILLES ÉPREUVES, SEU FILHO DA PUTA !! » *



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(*) Chœurs en partie signés par les miss Carmen Simões (AVA INFERI, EARTH ELECTRIC) et Mariangela Demurtas (TRISTANIA et épouse de Ricardo Amorim) et quelques membres du groupes.

(**) La sismologie contemporaine est née de cette tragédie de 1755, par exemple. Le développement de nouvelles techniques de construction anti-sismiques aussi.

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   WËN

 
   JEFF KANJI

 
   (2 chroniques)



- Fernando Ribeiro (chant, textes)
- Ricardo Amorim (guitare)
- Pedro Paixão (claviers)
- Aires Pereira (basse)
- Mike Gaspar (batterie)
- Paulo Bragança (invité, chant #3)


1. Em Nome Do Medo (orchestral)
2. 1755
3. In Tremor Dei
4. Desastre
5. Abanão
6. Evento
7. 1 De Novembro
8. Ruínas
9. Todos Os Santos
10. Lanterna Dos Afogados (reprise Os Paralamas Do Suc



             



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