Si vous ne connaissez pas les Finlandais de ORANSSSI PAZUZU, ce nouvel album pourrait vous permettre de coincer un pied dans la porte de la discographie du groupe. Il va falloir passer dans un corridor très sombre et laisser tous vos appendices humains dans un vestiaire pour toquer à la porte de "Muuntatuja" et entrer dans son univers informe, impropre à la sensorialité humaine et de fait déroutant. Forcément inapprivoisable au premier abord, cette œuvre du malin sacrément ténébreuse et espiègle va vous endurcir les oreilles une bonne fois pour toutes.

Septième album d’un groupe que les critiques plus ou moins racés ont qualifié de Krautrock/Black Metal – et on les comprend - "Muuntatuja" revient à des atmosphères expérimentales pourtant bien plus noirâtres, à l’image de sa pochette, qui nous en dit pas mal sur le possible contenu du disque. Oui, l’album se veut extrêmement dark et semble amalgamer différents univers musicaux. Il y a de l’abstract IDM à la AUTECHRE ou des rythmes très Trip-Hop parfois ("Hautatuuli"). Le groupe cite d’autres influences encore parmi lesquelles sont mentionnées PORTISHEAD (voilà une des clefs !) et MY BLOODY VALENTINE (sans doute le côté mur de son et Noise/Pop), mais nous pourrions leur octroyer des références psychédéliques du temps des premières torpeurs de HAWKWIND par exemple tant le gras de la basse, les rythmes syncopés induisent une transe hypnotique irrésistible, mais aussi les relents industriels d’un BEHERIT.

Après l’album excellentissime de DOEDSMAGHIRD "Omniverse Consciousness" et le bourbeux "Perdition Ekstasis Meta" de ÆVANGELIST sortis cette année même, ORANSSI PAZUZU nous produit un souffle expérimental assez exceptionnel, reptilien et infernalement chaud mais aussi son album le plus court ; et ce n’est pas un mal. Point d’orgue selon moi, la piste "Ikikäärme", véritable voyage astral ou abyssal (rayez la mention inutile), inconfortable et diabolique, la mort aux trousses et les dernières lueurs d’espoir s’éteignant à vue d’œil à l’horizon, ce titre nous envahit, atteint nos vaisseaux sanguins et diffuse son poison de manière pulsatile. D’autres titres sont d’une glauquerie sans nom. Je pense à la démoniaque "Valotus" avec son piano possédé, tarabustée par les vociférations de Jun-His et les jets sonores bruitistes qui m'évoquent avec délectation quelques saccades bien senties Power Electronics à la HAUS ARAFNA. Que dire aussi du titre éponyme avec ces effets intéressants. Il me rappelle les nappes délirantes et ces sons provenus de l’espace de ARECIBO sur l’incroyable album "Trans-Plutonian Transmissions". Mais avec ORANSSI PAZUZU tout est tordu à rompre les os, n’oublions pas que si ce n’est pas foncièrement du Black Metal, les guitares saturées à l’extrême et les vocaux fielleux en conservent bien tous les apparats.

Si ORANSSI PAZUZU ne suit que sa propre traverse et expérimente beaucoup, les Finlandais nous en donnent pour notre grade et en portion infinie. Jamais indigeste mais copieux, "Muuntatuja" est richement doté de détails et de textures sonores diverses et variées. Les amoureux d’Indus, de Power-Electronics, et de Black Metal qui aime à se déstructurer et/ou se disloquer applaudiront, tandis que les plus traditionnels n’y verront qu’une source désagréable ou une bouillie difficilement écoutable. J’avoue pour ma part que j’ai eu quelques résistances à vouloir rentrer dans le vif de l’album, n’étant pas le plus grand fan initial du groupe. Mais passées les vieilles représentations éraillées, l’écoute de "Muuntatuja" fut un vrai coup de cœur tant cet album définit selon moi, une évolution franche, racée, et richement singulière de ce que pourrait prétendre être et devenir le Black Metal. Malheureux seront ceux qui ostensiblement enjamberont l’album ou les dénigreront de principe, heureux seront les alchimistes en herbe, les poètes de chaos et les impurs du monde terrestre. À ceux-là je veux dire, "Muuntatuja" n’est point votre dernier échafaud mais sera peut-être la première trappe vers le suivant.

Note réelle : 4,5/5.