Contrairement à mes collègues qui n’attendaient pas spécialement grand-chose de ce nouvel album de Bruce Dickinson, moi c’est un peu tout le contraire. Ce Dickinson je l’attendais de pied ferme, considérant la discographie solo de l’Air Raid Siren comme absolument essentielle, je n’avais donc guère de doute quant à la qualité de la chose, il restait à savoir quel angle musical serait proposé ici.

Néanmoins l’attente fut longue. Il fallait espérer que le résultat en vaille la peine... Et quel résultat ! Dickinson ne se contente pas de nous refaire un opus dans la continuité directe de "Tyranny Of Souls", il a quasi tout dit dans ce registre alors il ne faut guère s’étonner que ce "The Mandrake Project" emprunte un chemin différent. Toute voie de la facilité est écartée au profit d’une nouvelle approche musicale, d’un nouveau… projet.

Pour autant, on retrouve là toutes les inspirations chères à Dickinson. Le goût pour l’occulte et pour une forme de SF assez vintage, qui s’exprime au travers d’une théâtralité musicale héritée entre autres de son éternelle influence qu’est Arthur Brown. Cela donne des morceaux Heavy excellents comme avec "Afterglow Of Ragnarok" et son gros riff Sabbathien bien lourd comme sait si bien le faire le fidèle et talentueux Roy Z (on est même pas loin ici de l'esprit d'un certain Criss Oliva), qui donne par ailleurs une production assez sombre à l’album comme de coutume avec lui, ou le non moins bon "Rain On The Graves" où Bruce se fait plus théâtral que jamais dans ce titre aux relents Hard Rock à la DEEP PURPLE.

L’ensemble est incroyablement varié, parfois surprenant et sans jamais tomber dans la moindre redite. Bien sûr, on connaît déjà "Eternity Has Failed", mais l’ami Bruce nous délivre ici sa version à lui, qui échappe au formatage Maidenien. Pour l'intro, il se sert des mêmes lignes de chant (et aussi de synthés) enregistrées pour la démo originale, déjà utilisées dans la version de MAIDEN, mais le résultat est bien différent ce qui nous permet de comprendre l’importance considérable du mixage sur une œuvre musicale. Il n’avait aucun intérêt à refaire ses prises de chant s’il jugeait ses dernières suffisamment bonnes. Le morceau part ensuite sur un tempo moins rapide que la version MAIDEN, et c’est surtout son passage instrumental qui se distingue avec un clavier prédominant et un solo de guitare de Gus G, invité pour l’occasion. Le résultat n’est pas spécialement meilleur, il est juste différent.

Autres grands moments avec "Resurrection Men" et son thème western, ou l’agréable balade aux paroles touchantes, "Face In The Mirror", pas sa meilleure mais très appréciable tout de même. Et surtout un final de toute beauté avec l’impressionnant Shadow Of The Gods", titre rescapé du projet avorté des THREE TREMORS, qui fait carrément dans le Prog. On comprend aisément qu’il ait décidé de récupérer ce morceau vu sa qualité. Puis enfin la magnifique "Sonata, grandiose et tout en sensibilité. Alors certes, la fin de l’album, qui vire donc franchement au Prog, peut donner le sentiment que l’album se ramollit un peu en s’éloignant ainsi du Heavy, mais franchement, on s’en fiche un peu non ?

C’est ça la grande force de ce "The Mandrake Project", une œuvre osée, variée, issue d’un esprit libéré de toute contrainte et qui ne cherche donc pas du tout à proposer du prémâché, du calibré pour plaire facilement au plus grand nombre. Une réussite totale, et rare dans l’univers du Metal, ce qui me pousse à lui accorder la note maximale. A une époque où les vétérans du Hard/Heavy tendent à sortir des albums ultra calibrés et sans surprises, Bruce Dickinson pourrait presque les toiser de haut si l’envie lui en prenait.

Avec tout ça, j’en oublierai presque d’évoquer la performance vocale de Bruce, bah franchement, il est impressionnant, très impressionnant. Irréprochable, toujours dans le ton et l’atmosphère des morceaux, bien souvent original dans ses lignes de chant, souvent habité, toujours touchant. Bravo l’artiste !