Je repose le rapport de l’agent Anima sur mon bureau et lui écris rapidement un sms pour savoir si elle va bien. Je repose le téléphone sans attendre la réponse et je regarde le dossier, les mains croisées sur le menton. Il n’avait rien à faire ici. Nous ne partagions pas le même service, c’est tout juste si nos emplois du temps nous permettaient de discuter autour d’un café au réfectoire. Je regrettais d’avoir arrêté de fumer il y a des années de ça, un mot écrit sur un post-il collé à l’arrache me donne envie d’une cigarette tellement il me fait peur. Il est juste marqué « viens ». Ce qui me sidère, c’est que je me lève pour obéir à cet ordre silencieux. Mais je prends soin de me munir de mon arme de service.

L’Agence commence à se vider ; la nuit tombe rapidement et l’équipe de nuit passe plus de temps en salle de pause qu’à potasser les dossiers. Difficile de leur en vouloir quand tout est calme. Je récupère le walkman et pénètre à mon tour dans la salle de test. Le casque sur les oreilles, le doigt hésite toutefois à enclencher la touche « play ». À mon grand désarroi, je suis assez stupide pour le faire. La musique se déverse alors, étrange, mais familière également. On retrouve quelques influences KORN bien senties, mais il y a également ce phrasé Black qui jaillit, créant une boule d’angoisse, le tout dans une ambiance de jeu vidéo des années 90. C’est étrange, mais pas désagréable, c’est même plutôt stimulant.

Un mouvement est capté du coin de l’œil. Je ne sais pas tout de suite de quoi il s’agit, je mets cela sur le compte de la nervosité – la musique éveille quand même une espèce de paranoïa chez moi – puis je le vois. J’avais eu du mal à le croire en lisant le rapport d’Anima, mais pourtant la poupée de clown sur la pochette s’anime. Pire ! Elle braque un aérosol vers moi et elle allume un briquet. C’est un miracle si je m’en sors avec juste l’avant-bras brûlé. L’instinct m’a poussé à me jeter en arrière en me protégeant le visage. Ça me cuit, mais je survivrai. Mais cela risque fort de ne pas durer longtemps, le clown s’extrait de la pochette avec ce qui ressemble fort à un lance-roquette.

L’avantage de cette musique, même si elle possède un aspect effrayant, c’est qu’elle est très rythmique et qu’elle donne envie de se mettre en mouvement. Pour danser, ou dans le cas présent, pour fuir. Les relents Hip Hop n’ont cependant rien de rassurant, ici ils s’ajoutent au malaise ambiant au travers une brutalité terriblement groovy. Des influences DEFTONES se font sentir, mais c’est toutefois KORN qui prédomine, mais un KORN encore plus vicelard que l’original. Ce qui motive d’autant plus la fuite.

La pièce n’est pas très grande, mais je vis le même délire que ma collègue, j’ai l’impression de fuir au travers un labyrinthe de couloirs étroits. Un chant féminin intervient subitement, mais il n’apporte aucune sérénité. Je sors mon arme alors que les visions d’horreur m’assaillent, mais je me détourne de la poupée, dont le rictus semble hésiter. Là, j’avise le walkman et sans hésiter, j’appuie sur la détente. L’appareil explose et le clown disparait avec un ultime cri de rage. Quant à moi, sous le coup de ces vives émotions, je m’évanouis.

C’est Anima qui me réveille en me secouant énergiquement. Elle a les yeux dilatés par la peur quand mon premier réflexe est de braquer mon arme vers son visage, avant de me ressaisir. Elle me demande ce qui s’est passé, et je lui raconte ce dont je me souviens, sans rien omettre. Je sais qu’elle me croira. Si je n’avais pas envoyé ce SMS, elle ne serait pas là, elle s’est tout de suite douté que quelque chose n’allait pas quand elle l’a reçu, son rapport n’aurait en effet jamais dû terminer sur mon boulot. Elle m’aide à me relever et nous nous approchons de la table. Les restes du walkman explosé forment une myriade de petites pièces en plastique. Mais il n’y a aucune trace de la cassette. Avec appréhension, j’ouvre la pochette où le clown a retrouvé sa place. Elle s’y trouve, intact. Un bout de papier s’en échappe. Anima le ramasse, le lit en blêmissant et me le tend.

« Pan ! Tu m’as eu ! Mais d’après toi, combien ai-je de vies ? »

La Chiptune finale résonne alors dans la pièce et nous fuyons sans demander notre reste.
Avant de faire mon rapport à Chef Kanji, je prends un café avec Anima en lui expliquant le malaise qu’a créé en moi cette musique glauque et cependant, quelque part, absolument fascinante. Un instant, j’ai peur de vriller comme ce fan de tueurs en série qui passe à l’acte pour savoir ce que cela fait. Là, ma collègue me parle de sa volonté d’enregistrer cette cassette à part, pour aller plus loin dans l’analyse de ce truc. Je sais que quoi que je puisse lui dire, elle le fera. Je lui souhaite bonne chance avant d’aller dans le bureau du directeur. Elle en aura plus besoin que moi…