Après une discographie commencée sur les chapeaux de roue avec l’éponyme déflagration, RAGE AGAINST THE MACHINE a poursuivi sa route en mode chemin de croix, le temps de deux opus inachevés et frustrants, avant de splitter violemment, laissant les fans de la première heure éplorés. Le parallèle avec la trajectoire des GUNS n’est pas forcément fortuit, car, outre la qualité déclinante des productions passé l’essai séminal, les musiciens de RATM, à l’instar de SLASH, Duff & co qui fonderont rapidement VELVET REVOLVER, ont envie de continuer, ensemble. Ils ont encore cette foi, ce jus en eux, et envie d’en découdre.

Morello, Wilk et Commerford décident donc de fonder AUDIOSLAVE et vont chercher Chris Cornell (SOUNDGARDEN) pour tenir le micro. Vous avouerez qu’il y a pire choix. Cornell est probablement pour moi le meilleur chanteur de sa génération. S’il avait su mettre au niveau son écriture, on tenait sans doute l’un des artistes les plus accomplis de cette fin de siècle. Sa voix possède tant de tessitures capables de restituer toutes les émotions du monde que je n’ai pu que me montrer souvent frustré par ses compositions manquant d’impact. Bref, sur le papier, ça a franchement de la gueule.

Alors, quid de cet "Audioslave", sorti en 2002 accompagné d’attentes démesurées à l’époque au vu du line-up proposé ? Beaucoup, moi y compris, ont été initialement légèrement déçus, espérant un je-ne-sais-quoi de magique sortir du chapeau, l’alliance entre le plomb de la rythmique Wilk/Commerford, la créativité de Tom Morello, et la sensibilité du défunt frontman. Malheureusement ou pas, le résultat est beaucoup plus subtil que cela.

Avec le temps, j’ai appris à apprécier ce disque à sa juste valeur. Bien entendu, on retrouve les marqueurs de RAGE dès l’introductif "Cochise" qui rassure comme une bonne blanquette, mais le reste demande à être apprivoisé pour ce qu’il est : une formation à part, nous entraînant dans un univers plus large, moins monolithique que ce que proposait RATM. Moins impactant, certainement, plus émouvant également. Cornell y excelle, comme à son habitude, et l’opus est peuplé de pépites, comme "Like A Stone" bien entendu, qui fut d’ailleurs repris sur scène par les PROPHETS OF RAGE avec Serj Tankian (SYSTEM OF A DOWN) au micro, après le décès de Cornell. Je vous conseille les vidéos de cette prestation, très touchantes, qui circulent sur ioutoube.

Bref, il est inutile de rechercher du SOUNDGARDEN ou du RAGE AGAINST THE MACHINE chez AUDIOSLAVE. Cornell n’est pas De La Rocha, heureusement. Il apporte toute sa classe et une grande diversité à l’ensemble. C’est bien une entité unique qu’il faut considérer. Et quand on y parvient, on ne peut que s’incliner devant tant de générosité, de singularité ("Hypnotize" et ses chœurs à la BLACK REBEL MOTORCYCLE CLUB surprend franchement), de talent. Ce premier essai est une véritable réussite, au-delà du pédigrée de ses membres, et il n’est jamais trop tard pour le redécouvrir avec un regard neuf, et ce malgré une durée légèrement excessive (65 minutes).