Sous le soleil de mes quinze ans, abreuvé par les hormones rampantes, je n’avais qu’un rêve sombre : celui de vibrer dans la nuit. EMPEROR me l’a exaucé et détiendra toujours et encore ma reconnaissance éternelle pour cela. Quand de la sombre introduction de cinquante-et-une secondes (nous autres, fans ultimes prépubères, nous connaissions nos albums de cœur sur le bout des doigts tant nous avions constamment la tête si près des enceintes pour en sentir les vibrations cachées et les yeux rivés sur le décompte de la platine CD de notre chaîne Hi-Fi dans notre chambre d’adolescence), apparaissait dans un fracas grand la cisaille des riffs trempés dans la poudreuse des forêts de "Into The Infinity Of Thoughts", nous avions pour de bon et avec zèle lâché une bonne fois pour toutes nos âmes aux chiens des enfers.

Nous n’étions juste des moins que rien mais, galvanisés par la foudre de la violence et de l’agressivité démone, certains d’entre-nous fomentaient les pires prières au monde et se délectaient d’invoquer le nihilisme et le sarcasme tout en se retournant à eux-mêmes cette grande violence. Avaient-ils comme moi le secret espoir que le chaos surgisse et s’efforce méthodiquement de labourer l’humanité ? Secrétaient-ils du mauvais sang et du venin lorsque les cieux s’assombrissaient et que les rafales des vents encanaillaient les nuages ?

Partout où j’allais j’emmenais "In The Nightside Eclipse". Ces quarante-huit minutes et quelques secondes de furie rêche m’accompagnaient partout… J’eus très souvent l’impression d’être possédé et de me sentir surpuissant et mégalomaniaque au contact de cette musique, tant celle-ci me tourmentait les neurones, me renforçait l’esprit, me donnait une nouvelle forme de consistance et d’épaisseur aux limbes de mon âme. Je marchais vite lorsque j’écoutais "Cosmic Keys To My Creation" et je cherchais très souvent à gagner les forêts aux alentours pour ne pas perdre une miette de la déraison qui s’annonçait. J’explorais des endroits isolés où j’espérais et me convainquais que nul autre n’avait pu les fouler. Je discutais avec la faune intérieurement et apercevais des signes extérieurs comme des messages subliminaux dont j’imaginais être le seul à détecter et à décrypter.

Au contact de ce Black Metal féroce, véloce, spectral et envoutant, je ne pouvais que fantasmer les pires folies. Les frasques de Samoth et de Faust dopant aussi dans mon esprit cette confirmation de la nécessité de lever les interdits et de croire juvénilement que le Black Metal imposera son règne. Faut dire qu’avec mon pauvre magnétophone je faisais profession de foi aux camarades du lycée qui peut-être percevaient de mon amour pour cette bouillie sonore qu’un pâle reflet de ma bizarrerie. Mais le "In The Nightside Eclipse" – quelques décennies plus tard – n’a toujours pas terni dans mon cœur et je ressens toujours et encore cette connexion instantanée avec le royaume des ténèbres et puis celles aussi de mon intimité. Ô que des nuits noires j’ai rêvé lorsqu’Ihsahn hurlait à la mort pendant des secondes interminables et que ses claviers fantomatiques et lugubres entamaient leur danse avec les ombres des damnés.

Il est fort probable qu’il s’agisse de l’album que j’ai le plus écouté à ce jour. Il restera toujours maître en tout lieux et en tout temps pour moi. Rien ne pourra l’atteindre sauf le jugement hâtif des nouvelles générations peut-être. Sa carrure magistrale et son aura ténébreuse, son odeur de rêves maudits et ses couleurs intensément sombres, cette pochette hantée et ultime maudite des cieux et peinte par l’enfer de Necrolord… Je pourrais vous évoquer certains passages superbes que j’écoutais en boucle des dizaines et des dizaines de fois – à la manière de mantras maléfiques - en saturant mes sens et en répétant la manœuvre pour espérer enfin accéder à des pensées secrètes cachées dans mon for intérieur, et ainsi les faire imploser puis exploser. Je pourrais vous parler de sa production givrante et exceptionnelle d’agressivité. Je pourrais enfin vous parler de toutes les secondes de cet album et vous en décrire toutes les substances mais plus rien de cela n’est nécessaire. Tout a déjà été écrit. Ihsahn, Samoth, Tchort et Faust ont permis avec "In The Nightside Eclipse" d’entraîner le Black Metal dans une chute ascensionnelle. Ils ont aussi obtenu le pouvoir suprême de marquer l’histoire de ce courant musical et de l’élever à un rang supérieur. Vaste histoire donc pour moi que ce "In The Nighside Eclipse". Inégalé et surtout inégalable, il détiendra ce privilège de me hanter jusqu’à mon dernier souffle. Chef d’œuvre.

"Forever wilt I bleed for Thee
Forever wilt I praise Thy dreaded name
Forever wilt I serve Thee
Thou shalt forever prevail". (*)

(*) Paroles extraites de "Inno A Satana".