La dégringolade, c’est souvent sournois. On ne remarque pas tout de suite les signes avant-coureurs, ce n’est qu’avec le recul que l’on peut se dire qu’effectivement, il y a des signes de déclin qui apparaissent, que le niveau baisse. Pas forcément drastiquement, mais le groupe a l’air rincé, se montre moins ambitieux dans la composition, la forme et le fond. Les causes peuvent être multiples, mais elles sont souvent accompagnées de dissensions au sein de la formation. C’est un peu le constat que l’on peut tirer de ce "Draw The Line" qui, s’il n’est en rien honteux, commence à marquer le pas.

Derrière cette pochette qui ressemble à un pastiche façon Mad de la cover du single "Somebody To Love" de QUEEN se cache un premier point d’étonnement. Elle a été réalisée par l’alors septuagénaire Al Hirschfeld, célèbre caricaturiste connu pour son travail du noir et blanc. C’en est presque incongru mais l’illustration, qu’on l’aime ou non, attire le regard, interpelle. Quand on écoute l’album, ce qui frappe d’entrée de jeu est le côté brut de décoffrage. C’est direct, ça ne prend pas le temps d’enjoliver les choses avec des introductions, il faut que ça cogne tout de suite.

Et "Draw The Line", la chanson, est une petite perle en la matière. Frontale, presque arrogante dans le dénuement de son riff, évocation claire de la drogue, qui est ici le septième membre du groupe (Jack Douglas, le producteur, détient la sixième place). Tyler est complètement stone la moitié du temps, Perry ne se pointe pas toujours au studio, chacun fait un peu comme il l’entend et nous nous retrouvons avec des situations étranges. Ainsi Brad Whitford se retrouve à jouer toutes les guitares sur certains morceaux (juste parce que Perry n’était pas là), Joe prend le micro sur "Bright Light Fright"… qui a des contours résolument Punk. Tout fout le camp.

Pourtant, ce disque contient de nombreuses perles un peu oubliées ou plus discrètes. Que ce soient les "Critical Mass", "Get It Up", "The Hand That Feeds" ou encore "Sight For Sore Eyes", toutes attirent l’oreille, entre une résonnance totalement Hard Rock, des interventions Funky en diable, cette basse omniprésente de Tom Hamilton qui nous livre ici un sacré récital. La guitare est rageuse, Tyler fait le job, sans être non plus renversant comme il a pu l’être précédemment, mais sa gouaille est tout de suite identifiable.

Puis il y a ce "Kings And Queens" dantesque, un des meilleurs morceaux des Dupont Volants, une merveille qui oscille entre la ballade et quasiment du Heavy Metal. Tyler y livre sa meilleure prestation sur l’album, derrière lui le groupe (moins Perry) tabasse sévèrement tout en sachant se faire velour. C’est beau, c’est de très haut niveau et si tout l’album avait été de ce niveau, on serait face à un véritable chef d’œuvre. Ce qui n’est malheureusement pas le cas, malgré une bonne tenue globale de l’ensemble.

Il faut dire que sa qualité, bien qu’en baisse, tient du miracle. Jack Douglas s’est souvent improvisé pompier malgré lui, nous le retrouvons d’ailleurs crédité sur quatre morceaux (il est ainsi à l’origine du texte de "Critical Mass". Tyler, qui n’avait rien à proposer à la place, s’en contenta). Il a aussi adapté sa production pour que les compositions sonnent de façon plus raides, plus mordantes. "Draw The Line" est l’un des opus d’AEROSMITH parmi les plus agressifs qu’ils aient fait et le son de Douglas lui rend vraiment hommage.

Autre point intéressant, le groupe ne propose pas de ballade ici. Rien, zéro, nada, pas une ombre de mélodie pour midinette. Même les parties calmes de "Kings And Queens" possèdent une certaine lourdeur. Nous échappons donc à un "Home Tonight Part II" et surtout le ‘SMITH reste du début à la fin dans l’optique de rendre coup pour coup. La cover finale, "Milk Cow Blues" de Kokomo Arnold est à ce titre tonitruante, réinventant complètement l’originale, comme si le groupe ne souhaitait pas que sa version se rapproche de celle imaginée par le King en 1955. Tout est fait pour en mettre plein la tronche sur cet album.

"Draw The Line" est paradoxal. Il marque le pas, mais il s’agit malgré tout d’un grand disque d’AEROSMITH, planté en de très rares occasions malgré un groupe qui n’était pas forcément en état de produire de la bonne musique. Plus simple dans sa forme mais loin d’être simpliste, il va marquer cependant la fin de l’âge d’or de la formation. Si certains y ajoutent encore "Night In The Ruts", le combo allait vivre une sacrée traversée du désert émaillée de disques studio qui allaient petit à petit diluer toute la magie des premiers enregistrements.

Titres incontournables : "Draw The Line", "Kings And Queens".
Les bonnes surprises : "Critical Mass", "The Hand That Feeds", "Get It Up".
À oublier : "Bright Light Fright".