Lorsque nous nous penchons sur la discographie d’AEROSMITH de nos jours, avec le recul nécessaire pour l’appréhender et l’analyser à notre guise, "Get Your Wings" fait souvent office de parent pauvre, coincé qu’il est entre un premier essai brut de décoffrage et un "Toys In The Attic" qui marquera la consécration du groupe. Cependant, ce disque montre déjà du changement dans la façon d’écrire des cinq musiciens de Boston, il va également celui qui allait commencer à esquisser leur son. Il est moins hargneux que son grand frère, moins tubesque que celui qui le suivra. En fait, "Get Your Wings" a tout de l’album charnière, déjà, et il est en ce sens important à plus d’un titre.

"Aerosmith" avait fait un bide. On ne parlera même pas d’un succès d’estime ; sa carrière, il la fera une fois que "Toys In The Attic" et "Rocks" auront été publiés. L’étiquette de ROLLING STONES US leur collait à la peau et le groupe, plutôt que de suivre bêtement la voie qu’il s’était tracé, allait repenser son écriture, se trouver un style. La pochette se veut déjà un peu plus classe que la précédente, avec le groupe sur fond noir et une première ébauche de logo, avant celui qui ornera les jaquettes dès l’opus suivant. Et surtout, la formation va s’acoquiner avec Jack Douglas, un ingé son que Bob Ezrin avait encouragé à devenir producteur. Et il sera indissociable de l’âge d’or d’AEROSMITH.

Aussi, "Get Your Wings" est un album différent. Varié, volontiers groovy, toujours très Rock, avec son lot de perles, dont certaines parfois insoupçonnées. Le disque démarre très fort avec un "Same Old Song And Dance" et son solo de saxophone. On remarque que la façon de chanter de Steven Tyler a changé. Il ose plus, il lâche les chevaux. Derrière les musiciens conservent le feeling affiché sur le précédent album, mais cela donne l’impression d’être un brin plus fluide, aidé en cela par une rythmique qui trouve déjà son rythme de croisière. On remarque que le son est plus lisse, plus posé, ce qui permet aux musiciens d’aborder un large panel mélodique, allant de la ballade aux morceaux robustes comme cette reprise du "Train Kept A Rollin’", vieux morceau de 1951 dont la version des YARDBIRDS deviendra la référence.

Sur ce disque cohabitent donc des morceaux aux contours très différents, quand le précédent essai misait clairement sur la spontanéité et la force brute. Les jeunes chiens fous se sont assagis et sans pour autant sombrer face aux sirènes commerciales, peaufinent leur style et surtout, varient le propos. L’ensemble est certes moins raide, mais le tranchant est toujours présent, se dissimulant parfois où nous ne l’attendons pas, comme sur cette ballade formidable qu’est "Seasons Of Wither", gorgée d’émotion. Je vous avais dit tout le bien que je pensais de "Dream On", celle-ci lui colle au train dans mon palmarès. Un titre touchant, mené par un Steven Tyler impérial qui la porte littéralement sur ses épaules.

Les Dupont Volants vont également expérimenter avec plus ou moins de réussite, comme c’est le cas sur "Spaced". On ne sait pas trop où le groupe veut en venir, ni quelle direction il prend réellement, on constate juste qu’il y va gaillardement, avec plus ou moins de réussite (enfin, plutôt moins dans mon cas). Mais c’est quand ils reviennent à une formule plus simple, plus directe, qu’ils ne sont pas toujours les plus inspirés, comme semble l’attester "Pandora Box" au final qui manque cruellement d’élégance après les belles choses montrées par le groupe. Clairement, il n’a pas encore complètement achevé sa mue.

Un album charnière donc, qui mérite d’être redécouvert aujourd’hui, cinquante ans après sa sortie tant il va définir le style d’AEROSMITH pour les prochaines années avant le grand chamboulement des 80's et une seconde carrière, pas toujours aussi inspirée. "Get Your Wings" préparait le terrain, avant un "Toys In The Attic" qui allait arriver comme une déferlante et propulser la formation à des hauteurs stratosphériques, faisant d’elle un des fers de lance du Hard Rock américain.

Morceaux incontournables :
"Same Old Song And Dance"
"Lord Of The Thighs"
"Seasons Of Wither"