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Les Visages de la Critique : le chroniqueur est un consommateur
Par LYRR le 17 Avril 2018 Consulté 3100 fois

Le Metal – comme n'importe quel autre genre musical en ce début de XXIème siècle – est un pur produit capitaliste. On a tendance à préférer mettre en exergue l'aspect artistique de la musique qu'à en analyser l'aspect économique : or l'art est un bien de consommation, ni plus, ni moins. Toute l'imagerie du Metal, ses codes esthétiques, les pratiques sociales qui en découlent : tout cela n'est qu'une grande entreprise marketing. Et même l'obscur artiste de Trve Black Metal qui enregistre ses cassettes tout seul dans la cave de sa grand-mère participe à cette commodification de la musique : cette prétendue non-conformité n'a pour finalité que de faire correspondre l'objet produit aux attentes d'un public de niche sensible à ce type d'"arguments de vente". Les groupes sont des producteurs ; nous autres, auditeurs, sommes de simples consommateurs ; et toute création artistique n'est que marchandise.

Cette vision de l'art peut paraître très matérialiste, terre-à-terre et vaguement cynique, mais elle est cependant utile lorsque l'on souhaite s'attaquer à l'évaluation critique d'un album. Cette dernière revient alors à estimer sa propre satisfaction de consommateur : pour parler comme Jeremy Bentham, quelle utilité (c'est-à-dire quelle quantité de bien-être) ai-je obtenu en consommant ce bien ? Quelle valeur d'usage puis-je accorder à cette œuvre ?

Il est difficile de répondre de manière satisfaisante à cette dernière question, car l'un des grands défis de la valuation d'une œuvre musicale est que son prix de marché n'est pas un indicateur de sa valeur qualitative : "Lulu" est vendu grosso modo le même prix que "Heaven And Hell", mais leurs valeurs utilitaires respectives sont fortement différentes. La valeur d'usage d'un disque ne dépend pas non plus de ce que David Ricardo et Karl Marx (entre autres) appelaient "valeur-travail", c'est-à-dire la valeur en heures de travail fournies pour produire le bien. Ce ne pas forcément le temps passé par le groupe à composer, répéter et enregistrer qui définit la qualité d'un album : si cela avait été le cas, "Time I" de WINTERSUN aurait été la plus incroyable œuvre de Metal jamais créée (ou presque), et je doute fort que tout le monde soit de cet avis. La valeur d'usage d'une composition musicale, étant fortement détachée de sa valeur monétaire, doit être estimée via une appréciation analytique de son contenu et de l'utilité que celui-ci procure. Ce qui nous mène au rôle du critique musical.

Sans faire de généralisation abusive, il est raisonnable de penser que tout auditeur aspire à privilégier l'écoute d'albums ayant le potentiel de lui apporter du bien-être à celle de disques en étant incapables. Mais comment choisir parmi toutes ces sorties et toutes ces archives celles qui auront le plus de chances de convenir à ses goûts ? Comme pour bien des produits, en s'informant à travers la lecture de critiques, celles-ci servant de guides dans le labyrinthe sans fin qu'est devenu le monde du Metal au fil des ans. Et c'est à cette position d'entremetteur entre producteurs et consommateurs de musique que je me vois en tant que chroniqueur : faciliter la rencontre entre créateurs de biens culturels et potentiels auditeurs, aidant ainsi le "marché" à mieux fonctionner en réduisant les asymétries d'information – et ainsi permettre aux consommateurs d'avoir une idée de si cela vaut la peine de s'intéresser à une œuvre ou s'ils ont meilleur temps de passer leur chemin.

Je regarde donc mon travail comme celui d'un auditeur-consommateur critique qui aurait décidé de partager son travail analytique d'évaluation d'œuvres musicales avec le public, lui communiquant au travers d'une opinion argumentée les résultats de son analyse de la qualité de sa consommation. Mon écriture est donc contrainte par ces deux aspects : analyse de ma satisfaction de consommateur et transmission de cette analyse. Je me dois de proposer à la fois un contenu qui synthétise l'essentiel de ce qu'il y a, à mon avis, à retenir d'une œuvre et un contenant qui sache captiver l'attention du lecteur sans le perdre dans des considérations accessoires trop profondes et peu informatives ou des tournures de phrase trop alambiquées qui n'apporteraient aucune plus-value à mon texte. J'aime à ajouter quelques fioritures au contenu, mais j'essaie de ne pas perdre de vue que la substance est la seule chose qui ait véritablement de l'importance. J'écris des critiques musicales, pas de la littérature.

Toute la difficulté de l'écriture critique est de parvenir à formuler verbalement une évaluation basée sur des facteurs qui tiennent principalement du simple ressenti. Quels sont les éléments qui me font apprécier cette musique ou non ? Pourquoi n'arrive-je pas à accrocher à tel passage ? L'identification des forces et faiblesses d'un disque est une tâche parfois ardue, surtout lorsque l'on s'intéresse à une musique dont la composition est particulière subtile, complexe ou inhabituelle. Chroniquer IN THE WOODS… pose d'autres défis que chroniquer AC/DC. Au fil du temps, on finit par prendre l'habitude de scruter chaque disque et d'en décomposer mentalement les constituants : riffs, mélodies, rythmes, types de chant, structures, mais aussi paroles, imagerie du groupe, etc.

Une autre partie non-négligeable du travail d'analyse est la contextualisation. Positionner un disque non seulement dans une discographie, mais aussi dans un genre et une époque est une tâche dispendieuse mais nécessaire à la compréhension de son appréciation (ou non-appréciation), car la comparaison avec d'autres œuvres plus ou moins similaires aide à se rendre compte des caractéristiques qui font justement son intérêt ou non, notamment en termes d'originalité. Il s'agit donc de développer sa culture musicale dans certaines directions afin de pouvoir tirer des parallèles, mais toujours sans en faire trop : on écrit une chronique, pas l'historique d'un genre – ce qui est un autre type de travail.

Une fois l'apport de chaque élément d'une œuvre proprement considéré dans son individualité et dans sa participation à un tout, il est enfin possible de commencer à comprendre ce qui fait l'essence qualitative de ladite œuvre et donc ce qui en détermine la valeur d'usage. Cette valeur est finalement transposée sur une échelle quantitative sous la forme réductrice d'une simple note – note qui devient d'ailleurs facilement le point de départ de désaccords, notre perception de sa signification étant très personnelle malgré les efforts d'uniformisation entrepris. Et voilà, une fois toute cette démarche effectuée, on peut repartir à zéro avec un nouveau disque. Car il reste encore tant à chroniquer…

Pour conclure ce texte qui n'est déjà que trop long, je dirais que l'un des concepts les plus importants dans ma vision de l'écriture critique est celui de limite. Mes capacités de compréhension et d'analyse sont limitées, ma culture musicale est (horriblement) limitée, mon style est limité. Je ne crois pas aux vérités absolues et jamais je n'oserai refuser à quiconque son droit de contredire mon analyse et de voir le chef-d'œuvre là où je ne vois que le hors-d'œuvre (calembour douteux s'il en est). À chacun ses goûts de merde, en quelque sorte. Tant que l'on en est satisfait…



Le 20/04/2018 par DINICED

Non Lyrr, ne dis pas ça stp ! Tu anéantis tous mes espoirs de donner un sens à l'existence de l'être humain. L'Art ne se consomme pas, il se vit ! L'Art est la seule différence qui fait de nous, peut-être, autre chose que de simples animaux. Il me pousse à croire que nous pouvons bouleverser l'équilibre naturel imposé (par Dieu ?) à savoir pondre et bouffer pour perpétuer cet énorme machine de recyclage (de consommation ?) qu'est la Vie.

Le capitalisme rend tout consommable, OK, mais surtout il rend tout "payant".
Je refuse de croire que SLAYER veut me servir sa musique comme un distributeur de boissons, que la chapelle Sixtine a été construite et peinte uniquement pour le pognon ou que "Les Trésors De Satan" ne touchent pas à la perfection humaine.

Comme les dictatures utilisent la démocratie pour détruire la démocratie, l'Art utilise le capitalisme et le système de consommation pour, je l'espère, finir par le détruire... Vive l'Art ! Il est un bien de consommation qui ne se consomme pas ! Du moins je l'espère de toute mon âme.


Le 20/04/2018 par OLIVIER

Je ne crois pas que l'art soit un bien de consommation ; mais la musique en général est, elle, devenue un bien de consommation. Il ne faut pas y voir une contradiction car un album de Death Metal ou de Hard Rock n'est pas un produit artistique mais un produit de l'industrie du divertissement.



             



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