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Les Visages de la Critique : Il n'y a rien
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Il n'y a rien.

Le son démarre.

Et puis soudain quelque chose. A t'il plu ? A t'il neigé ? Le métro était-il plus puant qu'à l'ordinaire ? Les gens y étaient-ils moins détestables ? Ai-je perçu quelque résonance entre le monde qui m'entoure et un air familier ?

Il y a un déclic, une illumination. Il faut écrire, vite, écrire pour dire, narrer, raconter ce que l'on a compris, écrire pour comprendre davantage. Écrire pour vivre, écrire pour faire vivre la musique sous ses mots, pour l'habiller comme d'une parure, d'une décoration, d'une flatterie. Sentir la phrase couler sous ses doigts en harmonie avec le son coulant dans ses oreilles. Parler de la musique, parler de soi, parler du passage de la musique en soi, parler de son sillage et de son effet. Être digne de ce sentiment élevé, être digne d'être de cette espèce de tas de chair grotesques certes, mais d'une espèce de tas de chair capable d'art. Ou bien faire volte-face et alors comme un censeur soviétique s'en moquer, la tourner en ridicule. De son mépris stalinien écraser une expression artistique, l'afficher au pilori et se faire crieur public.

"Approchez ! Approchez ! Voyez, sentez, touchez l'étron ! N'est il pas laid ? N'est il pas repoussant ? N'est-il pas visqueux ? N'empeste t-il pas la crasse du boyau ? Ah quelle épouvantable colique a t'il fallu pour déféquer telle merde !" C'est un plaisir mauvais, et de courte durée, la schadenfreude du chroniqueur frustré de n'avoir entre ses mains de quoi faire l'éloge - car le chroniqueur ne rêve que d'éloge -. Hélas il faut bien chroniquer le mauvais, informer sur le détestable, disserter le moyen, analyser le passable. Qu'est ce qu'un monde où tout est excellent ? Cinq étoiles ? Neuf sur dix ? Un monde ou rien ne l'est. Je te méprise, toi l'éternel satisfait, toi l'indécevable. La vie est trop courte pour ne pas découvrir, le monde trop laid pour ne pas chercher, l'art trop vaste pour ne pas creuser toujours plus profond, trouver mieux, toujours découvrir, toujours apprendre, comprendre, vivre.

Armé de ma seule subjectivité, secondé par un sens de l’ouïe déficient – humain, trop humain – car incapable de transmettre avec exactitude les ondes sonores à mon cerveau, je suis déjà perdu, battu d'avance par la colossale quantité d’œuvres à la minute, par les millions d'heures de travail effectuées en amont et par les millions d'heures d'écoute à effectuer en aval. Explosé, impuissant, ridicule le chroniqueur. David contre Goliath. Lucifer contre Yahweh. L'homme face à l'infini. Il y a trop de mots à entendre, trop de notes à lire pour une vie. Ou est-ce l'inverse ? La mort trop longue ? Les notes à écouter ? Je ne sais plus.

Mes mots sont là, ils sont imparfaits, ils sont affreusement humains. Je les relis. Ils sont laids, hideux, répugnants. Je les rejette, je les renie. Je les hais. Et je dois m'y faire. Si le plus mauvais, le plus ridicule des artistes a eu assez de courage pour publier ses ratés qui sont quand même une œuvre, qui suis-je pour être pudique ? Que sont mes scribouilleries, mes commentaires, mes notes de bas de page, mes minuscules postfaces rédigées dans un état second ? Rien. Rien que ma relation à l’œuvre. Rien que la possibilité pour autrui d'accéder à l’œuvre, de pressentir et de désirer son impact. Rien que pour moi la possibilité pour moi de devenir un peu plus humain. Rien que la possibilité pour un lecteur de le devenir lui aussi, sans que j'en ai conscience. Ce sont des raisons suffisantes. Il est une heure du matin, je suis confortablement engourdi. Je clique sur envoyer. Je commence à oublier.

C'est la fin. Le son se tait. Les images disparaissent.

Il n'y a plus rien.




             



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